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Montréal - Le retour des grands projets (article du Devoir)


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Montréal - Le retour des grands projets

 

Kathleen Lévesque

Édition du samedi 01 et du dimanche 02 mars 2008

 

Mots clés : gare de triage d'Outremont, Griffintown, gare-hôtel Viger, Construction, Montréal

 

Les promoteurs se sont adjoint une expertise qui accélère le processus administratif

 

L'ancienne gare Viger a été vendue à Viger DMC International sans appel d'offres pour neuf millions.

 

Photo: Jacques Grenier

C'est l'explosion de grands projets à Montréal par les temps qui courent. Et les promoteurs des Griffintown, gare-hôtel Viger, gare de triage d'Outremont et autre autoroute Notre-Dame ont la part belle avec le maire Gérald Tremblay, qui voit dans la promesse de cette grande coulée de béton le bonheur sous forme de taxes municipales. Mais qui orchestre la bousculade?

 

Montréal ne sait plus où donner de la tête. Tous les projets qui s'annoncent, tant publics que privés, créent un bel enthousiasme, mais amarrer des paquebots comme le CHUM, le CUSM, le Quartier des spectacles ou le projet immobilier de Radio-Canada en même temps demande à bien des égards du doigté et, surtout, des ressources.

 

Amochée et réduite à sa plus simple expression depuis les acrobaties politiques des fusions-défusions, la machine administrative montréalaise peine à suffire à la tâche. Mais qu'à cela ne tienne, le secteur privé regorge d'experts qui peuvent vous concocter en un tour de main une vision de développement ou une autre.

 

Dans le récent dossier des compteurs d'eau, le contrat le plus important à avoir jamais été octroyé par Montréal (355 millions de dollars) n'a pas été soumis à la vérification juridique du contentieux de la Ville de Montréal. Les avocats sont débordés, a-t-on argué en haut lieu. On a préféré sous-traiter ce devoir d'analyse indépendante au cabinet Dunton-Rainville, qui travaille main dans la main avec la firme d'ingénierie BPR, laquelle a piloté pour la ville l'octroi du contrat. Les liens d'affaires entre BPR et Dunton-Rainville sont de notoriété publique: ils partagent même une loge au Centre Bell pour y accueillir des clients potentiels.

 

L'emprise des promoteurs

 

L'effervescence immobilière que l'on connaît donne à penser que Montréal se développe au rythme insufflé par les promoteurs. Il n'y a qu'un pas à franchir pour croire que Montréal se fait dicter les investissements publics à faire. De façon plus nuancée, force est de constater que les gens d'affaires et les politiciens circulent dans les mêmes réseaux et que les passerelles d'un milieu à l'autre sont de plus en plus nombreuses, bien que franchies en toute discrétion.

 

Ainsi, en 2006, le maire Tremblay a mis sur pied un comité d'orientation économique pour le guider dans ses choix des projets à privilégier (Vision 2025). Une quarantaine de dirigeants de grandes entreprises et de bonzes de la finance y siègent, dont Phil O'Brien, de Viger DMC International, le promoteur de la gare-hôtel Viger, Luc Benoît et Jean-Pierre Sauriol, respectivement président des firmes d'ingénierie Tecsult et Dessau, ainsi que Lucien Bouchard, du cabinet d'avocats Davies Ward Phillips & Vineberg, qui a mené l'assaut contre «l'immobilisme» en tant que «lucide».

 

Sous l'administration de Pierre Bourque, un comité semblable avait discrètement vu le jour sous le nom de «comité des sages». Les gens d'affaires qui y siégeaient avaient proposé la privatisation de nombreux services municipaux ou le recours à la formule de partenariat public-privé, dont c'étaient les premiers balbutiements au Québec.

 

Si la communauté des affaires a l'oreille attentive du maire Tremblay, sur le terrain les promoteurs doivent s'engouffrer dans des méandres administratifs interminables pour parvenir à faire approuver leurs projets. Ils s'en plaignent depuis toujours. Les modifications de structures n'ont allégé en rien le parcours des promoteurs. Certains se découragent.

 

L'an dernier, un important promoteur immobilier avait confié au Devoir sous le couvert de l'anonymat ne plus vouloir brasser d'affaires à Montréal. Il faut frapper à la porte d'un fonctionnaire, puis d'un autre, voir un maire et un autre, expliquait le coloré personnage, qui avait alors décidé de se tourner vers Laval, où les transactions ne sont jamais compliquées et où on a toujours une oreille attentive, disait-il. «À Laval, c'est simple. La ligne est claire. Une île, une ville, un Gilles!», avait déclaré le promoteur.

 

Consciente du problème, la Ville de Montréal a décidé de changer les règles du jeu. À la faveur de tiraillements politiques, le maire a mis la main sur les grands projets et les dossiers touchant le centre-ville. On a aussi créé sans tambour ni trompette une nouvelle structure à géométrie variable, une sorte de voie d'accélération des projets. Le groupe d'intervention stratégique et tactique (GIST) bénéficie d'une enveloppe budgétaire annuelle d'un million de dollars pour commander des études ou des analyses afin de soutenir les promoteurs.

 

Des liens tricotés serré

 

De leur côté, les promoteurs ont compris depuis longtemps qu'il fallait avoir une équipe capable de s'introduire à l'hôtel de ville sans avoir besoin de présenter une carte professionnelle. Plusieurs d'entre eux ont embauché d'anciens fonctionnaires ou d'anciens élus, profitant ainsi de certaines compétences, de réseaux précieux et d'une connaissance intime de la machine administrative.

 

Ainsi, l'ancien responsable du développement économique au sein du comité exécutif de Montréal, Georges Bossé, travaille sur le dossier de Griffintown chez la firme d'urbanisme Daniel Arbour et associés, qui fait les démarches pour le compte du promoteur Devimco auprès de la Ville. Or le dossier de Devimco a été présenté à M. Bossé à l'époque où ce dernier était derrière son bureau de politicien.

 

Dans le dossier de l'eau, la firme BPR a recruté le haut fonctionnaire Yves Provost, le grand responsable des infrastructures qui a été le maître d'oeuvre de l'implantation des compteurs d'eau dans les industries, les commerces et les institutions. M. Provost a mené le dossier en collaboration avec BPR pendant deux ans.

 

Le projet de la gare-hôtel Viger est encore plus intéressant. Phil O'Brien, chef de direction chez Viger DMC International, a étendu ses tentacules. Il siège entre autres au comité d'orientation économique, au conseil d'administration du Partenariat du quartier des spectacles et à la Fondation du maire de Montréal pour la jeunesse. À ses côtés, chez Viger DMC International, on retrouve Cameron Charlebois, qui a été nommé membre du comité consultatif d'urbanisme de Ville-Marie par Benoit Labonté, maire de l'arrondissement. M. Charlebois a démissionné lorsque des questions se sont posées publiquement sur la possibilité d'un conflit d'intérêts compte tenu du fait que le projet de gare-hôtel Viger est situé dans le territoire administratif de l'arrondissement de Ville-Marie.

 

Auparavant, M. Charlebois avait été directeur général adjoint de la Ville après avoir tâté de la politique municipale sans succès. Jusqu'en 2003, il était responsable du développement urbain et économique.

 

Phil O'Brien s'est également adjoint les services de Pierre Ouellet, un ancien directeur du service de l'urbanisme de Montréal. M. Ouellet a également dirigé une société paramunicipale appelée SIMPA, aujourd'hui disparue. MM. O'Brien et Ouellet se sont rencontrés à l'époque de l'élaboration du projet du Centre de commercial mondial. MM. O'Brien, Charlebois et Ouellet sont tous trois très associés au parti du maire Tremblay, l'Union des citoyens de Montréal.

 

Des projets qui s'imposent

 

Viger DMC International est prête à investir 400 millions pour réhabiliter la gare-hôtel Viger et développer le secteur alentour en y implantant quatre tours qui dérogent aux règles d'urbanisme. Dans une première étape, la société a acquis sans appel d'offres la gare-hôtel et les terrains adjacents pour neuf millions de dollars alors que la valeur aux livres était de plus de 14 millions.

 

Après avoir franchi plusieurs étapes administratives, Viger DMC International ne veut pas s'embarrasser des règles supplémentaires de consultation qui s'appliquent à son projet parce qu'il est situé en grande partie dans l'arrondissement historique du Vieux-Montréal. Le promoteur a d'ailleurs multiplié les démarches politiques pour réclamer un changement à la Charte de Montréal et éliminer l'étape de la signature du registre qui peut enclencher un référendum. Le gouvernement se montre ouvert à l'idée, tout comme le maire Tremblay. C'est le même Gérald Tremblay qui, il n'y a pas si longtemps, avait tout fait pour que Québec édicte des règles strictes comme rempart à d'éventuels projets qui risqueraient de défigurer le Vieux-Montréal ou le mont Royal.

 

Dans le dossier de Griffintown, la Ville de Montréal a géré le projet main dans la main avec le promoteur Devimco. Ce dernier s'est plié à plusieurs exigences de la Ville, notamment pour réduire le pourcentage d'espaces commerciaux en augmentant le nombre de résidences. En contrepartie, Devimco a participé à la rédaction du programme particulier d'urbanisme (PPU), comme l'affirmait lui-même le président de l'entreprise, Serge Goulet.

 

Le PPU devant établir les balises de développement du secteur au sud-ouest du centre-ville, à l'entrée du canal de Lachine, et donc déterminer les besoins en fonds publics, a été fait sur mesure pour le projet Griffintown. Les documents officiels émanant de différents services municipaux l'écrivent noir sur blanc. Le PPU et le site visé par Devimco ont les mêmes contours, les volumétries des immeubles correspondent en tout point aux besoins exprimés par le promoteur, les deux sont «intimement liés puisque le projet de PPU a été préparé pour permettre la réalisation du village Griffintown».

 

Mais les exigences de Devimco n'ont pas été exprimées qu'en coulisses. Serge Goulet affirmait récemment au Devoir que le projet d'un tramway devait se faire impérativement pour assurer le lancement de son propre projet. L'argument de l'homme d'affaires était de taille: le versement de 10 millions de dollars si le tramway voit le jour d'ici deux ans.

 

De la même façon, le promoteur de Griffintown s'est assuré l'appui de la collectivité en faisant des consultations privées, en proposant de conserver des immeubles à caractère patrimonial et en versant un million de dollars à l'École de technologie supérieure pour la création d'une chaire d'études en développement durable, dont «une grande partie de ses activités sera en lien avec le projet Griffintown».

 

Dans le paysage montréalais, ces deux projets, comme tous les autres qui se profilent, démontrent une grande intimité entre les promoteurs et les dirigeants politiques. Mais peu importe les craintes des certains que Montréal puisse ne pas être en plein contrôle de la situation, le maire Tremblay n'a jamais été aussi passionné par tant de mouvement. «Au lieu d'attendre qu'on soit critiqués pour des projets, pourquoi ne pas les planifier ensemble? On veut accélérer la réalisation des projets. On veut accompagner les promoteurs», répète sur toutes les tribunes Gérald Tremblay.

 

 

http://www.ledevoir.com/2008/03/01/178440.html (29/02/2008 23H00)

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